«Parler à mon père» est la chanson de Céline Dion que j’aime le plus. Probablement parce que je voudrais littéralement parler au mien et que je ne peux le faire. Mais même pour ceux d’entre vous qui ne sont pas dans mon cas peuvent l’apprécier. Autant la mélodie que les paroles. Comme je suis de ceux qui s’intéressent plus aux paroles qu’à la mélodie, ce sont d’abord les paroles qui ont capté mon attention.
«Je voudrais choisir un bateau
Pas le plus grand ni le plus beau
Je le remplirai des images
Et des parfums de mes voyages
Je voudrais freiner pour m’asseoir
Trouver au creux de ma mémoire
Les voix de ceux qui m’ont appris
Qu’il n’y a pas de rêve interdit.»
Les habitués de ce blog vont sans doute se rappeler le billet intitulé «Il n’y a pas de rêve interdit» que j’ai publié au mois de mars de l’année dernière. C’est l’un des billets le plus lu depuis la création de ce blog.
J’y défends une idée à laquelle je crois profondément : les humains et les institutions qu’ils créent souffrent davantage d’absence de rêve plutôt que de rêves qui seraient «trop grands».
Rêver n’a jamais fait de mal à personne. Au contraire.
Dans «Le Pèlerin de Compostelle», Paolo Coelho écrit que «le rêve est la nourriture de l’âme comme les aliments sont la nourriture du corps».
Le rêve dont il est question ici fait référence à l’imagination. Pas celle maladive mais celle qui permet d’imaginer des mondes possibles, en côtoyant l’impossible et l’inaccessible.
Les esclaves noirs dans les champs de canne à sucre en Amérique rêvaient de liberté. Ils ont chanté ce rêve et les ont transmis à la postérité. C’est le Negro spiritual.
Dans la longue histoire de la lutte pour l’émancipation des noirs aux États-Unis, ces chansons ont alimenté le combat. Elles ont façonné un imaginaire. Elles ont permis de croire que malgré un présent difficile, un jour meilleur viendra. Elles ont nourri la lutte.
Le 28 août 1963, Martin Luther King prononce au pied du Mémorial Lincoln son célèbre discours «I have a dream» devant plus de 200 000 personnes qui vont entonner ce jour-là «We shall overcome». Devenue l’hymne du mouvement des droits civiques, cette chanson est une adaptation d’un Negro spiritual.
Réduits en esclavage, les noirs chantaient donc leur rêve de s’émanciper. Aujourd’hui, «We shall overcome» est devenu le chant d’espoir de tous les opprimés de la terre.
Fouettés par des maîtres sans pitié, les afro-américains ne se doutaient pas que Martin Luther King viendrait. Ils n’imaginaient pas que Barack Obama serait élu à la tête de ce même pays qui ne leur reconnaissait aucun droit. Mais ils rêvaient quand même d’un jour meilleur.
Parce que même privé de toutes les libertés, l’humain garde celle de rêver : «Ma seule liberté est de rêver, alors je rêve de liberté».
«Très souvent, au cours de notre existence, nous voyons nos rêves déçus et nos désirs frustrés, mais il faut continuer à rêver, sinon notre âme meurt», écrit encore Paolo Coelho dans «Le Pèlerin de Compostelle».
C’est parce que les afro-américains ont continué à rêver de liberté que l’âme noire continue de vivre aux États-Unis.
Céline Dion chante encore :
«Je voudrais partir avec toi
Je voudrais rêver avec toi
Toujours chercher l’inaccessible
Toujours espérer l’impossible
Je voudrais décrocher la lune
Et pourquoi pas sauver la Terre
Mais avant tout
Je voudrais parler à mon père.»
Chercher l’inaccessible. Espérer l’impossible. Quelle idée ! Et pourtant.
C’est dans la recherche de l’inaccessible et dans l’espoir d’un impossible qui deviendrait possible à force de travail et d’obstination que se construit un monde meilleur. Un Congo meilleur.
Un Congo où les enfants étudieraient dans de bonnes écoles. Un Congo où on ne compterait plus des enfants malnutris par centaines de milliers. Un Congo où on ne compterait plus les morts par dizaines du fait de l’activisme des groupes armés. Un Congo où des milliers de personnes ne seraient plus contraintes de connaître l’errance, la désespérance et la misère dans lesquelles des déplacements incessants les obligent à vivre.
Quand j’écris ces mots, la radio à côté de moi annonce qu’un massacre des civils a eu lieu la nuit dernière dans le territoire de Beni. Bilan : une quarantaine de morts.
Pour des millions des Congolais vivre en paix n’est qu’un rêve. Ils sont nombreux, ces enfants qui n’ont jamais connu un monde en paix où ils passeraient leurs journées à étudier et à jouer.
Ce rêve de paix doit être nourri, alimenté et partagé par tous les Congolais. Encore une fois, le rêve dont je parle ici n’est pas rêverie. C’est la capacité d’imaginer un monde nouveau pour le faire advenir.
C’est ce navigateur qui prend le large pour une destination lointaine, bravant les marées et les tempêtes. Dans la nuit et le froid, boussole à la main, il rêve de ce beau rivage qu’il est convaincu d’atteindre un jour.
Ensemble, nous pouvons construire ce Congo fort, libre et prospère. Même si pour le moment ce rêve nous semble inaccessible et impossible, continuons de le nourrir.
Comme nos cousins d’Amérique, chantons notre liberté. Rêvons-la.
Rêvons de ce jour où le Congo sera en paix.
Rêvons de ce jour où le Congo traitera bien tous ses enfants où qu’ils soient.
Rêvons de ce jour où on ne regardera plus le Congo de haut pour lui parler avec mépris.
Mais pour qu’il opère, ce rêve doit être partagé.
Nous devons à Hélder Pessoa Câmara, ancien archevêque de Recif au Brésil, cette belle phrase :
«Lorsqu’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve alors que lorsqu’on rêve à plusieurs c’est déjà une réalité. L’utopie partagée est le ressort de l’Histoire.»
C’est de ce rêve-là qu’il nous faut. Celui qui parle à tous les Congolais. Celui qui cimente l’unité nationale au-delà de nos différences. Celui qui nous fait préférer l’intérêt général au-dessus de nos intérêts particuliers.
Ce jour viendra.
WE SHALL OVERCOME…