Bienfaiteur et dragueur

«Il vaut mieux être seul que mal accompagné.» Si la vie de Makasu devait se résumer en une phrase, ce serait celle-là. 

Les vieilles cassettes de Koffi Olomidé et de Tabu Ley qui remplissent les cartons dont sa minuscule chambre est encombrée laissent souvent songeurs ses visiteurs. Il serait d’ailleurs plus indiqué de parler de «visiteuses» tant la gente féminine semble être la seule permise à rendre visite au «solitaire de Bandal»- surnom que lui ont collé ses amis. 

De toutes les façons, la deux-pièces de 5 mètres carrés qui lui sert de domicile ne peut pas accueillir grand-monde. Ce qui n’est pas pour lui déplaire. 

Makasu aime écouter de la musique. Il aime également la compagnie des filles. Et la bière. Même si devant ses rares amis, il aime jouer la modération : «Je n’en prends jamais avec excès. Une ou deux me suffisent». aime-t-il dire, sans que l’on sache s’il parle des filles ou des bouteilles de bière. 

Dans sa maison, tout est rangé. C’est ce qui impressionne le plus les filles qui viennent chez lui. Même les cartons de ses vieilles cassettes sont classés en ordre. 

«La première rangée, ce sont les années 70. Et la dernière, c’est la décennie 2000.»

Makasu aime voir dans les yeux de ses conquêtes ce mélange de surprise et de fascination quand il leur présente sa collection d’albums de ses deux chanteurs préférés. Avant, ces cartons de cassettes étaient au salon. Mais elles ont laissé la place à un énorme baffle connecté à une enceinte qui joue de la musique contenue dans un disque dur. 

«S’il n’en tenait qu’à moi, je continuerais à jouer mes cassettes. Mais on ne peut pas ne pas être en phase avec son temps. La technologie a évolué. Et moi avec.»

Dans le disque dur de Makasu, tous les albums du «Rambo» comme il l’aime à l’appeler. Mais aussi beaucoup de chansons de Tabu Ley, Madilu, Lutumba, Sam Mangwana, Carlyto Lassa, Franco, Papa Wemba, Julio Iglesias, Kassav, R Kelly, Phil Collins, etc. C’est sans grand intérêt qu’il écoute les «nouvelles générations». Fally, Ferre et Watanabe ne le laissent pas vraiment indifférent. Mais ce n’est pas sa came.

Makasu est pourtant ouvert à la découverte, à la nouveauté. Mais chez lui, la découverte musicale porte toujours le prénom d’une conquête.

Depuis le réveillon de la Saint-Sylvestre, il écoute beaucoup Dadju. La musique du «Prince Dadj» ne lui est pas tout à fait inconnue. Mais elle ne l’a jamais accroché. Jusqu’à ce 31 décembre 2020.

-Vous voulez que je vous aide ?

-Le bon sens me recommande de répondre par la négative.

-Il ne faut pas toujours suivre le bon sens.

-Ah bon ! C’est ce vous enseignez à vos enfants ?

-Si ça peut vous rassurer, je n’ai pas d’enfants. Et même si j’en avais, aucun d’eux n’aurait votre âge.

-J’espère que vous n’êtes pas un voleur.

Tshibo sentait bien qu’elle ne pouvait pas porter toute seule tous les paquets qu’elle avait dans les bras, en sortant de Kin-Marché. Surtout qu’il y avait un boulevard à traverser. Et un transport à trouver pour rentrer chez elle, à Kintambo. Elle finit par remettre deux gros sacs en plastique à Makasu.

-Où allez-vous ?

-A Kintambo.

-Vu ce que nous transportons, je vous suggère de prendre un taxi express. On vous dépose en premier. Puis le taxi va me ramener chez moi.

-…

-Pourquoi vous me lancez ce regard ? Il sera bientôt 20 heures. Ma proposition est plutôt censée. Non ?

-Je pensais qu’il ne fallait pas suivre le bon sens…

-Ne soyez pas grincheuse.

-Je me méfie des bienfaiteurs.

-Je ne suis pas un bienfaiteur.

-Un dragueur, alors ?

-Pas encore…

Avec un billet de 50$, Makasu finit par convaincre un chauffeur qui attendait des clients pour Lemba devant le supermarché Kin-Marché de les conduire jusqu’à destination.

Tout sur Makasu est rassurant. Sa taille : 1,65m. Ses lunettes : verres clairs, monture sombre de forme circulaire. Son accoutrement : pantalon tissus sombre, chemise blanche, mocassin simple aux pieds.

Son petit ventre naissant et le calme qu’il dégage lui donnent un air d’ancien séminariste.

-Chauffeur, vous pouvez augmenter le volume, s’il vous plaît ?

-Vous aimez la chanson ?

-J’aime toutes les chansons de Dadju. Celle-là, c’est «Reine». Un très beau morceau.

Makasu connaît quelques chansons de Dadju. Mais pas celle-là. Elle est pourtant sortie en novembre 2017.

Trois minutes, dix-neuf secondes, ça passe vite. Une autre chanson était diffusée sur «Tokos Radio» quand le taxi emprunte l’avenue OUA pour déposer Tshibo.

-On a roulé vite alors que je craignais les embouteillages du 31 décembre. Je n’ai même pas eu le temps de vous demander votre nom.

-Peut-être que ça ne vous intéressait pas.

-C’est possible.

-Ne soyez pas méchante.

-Je ne le suis pas. Pour preuve, je vous invite demain à venir partager notre repas de famille pour le jour de l’an.

-Le «Roi» sera là ?

-Pardon ?

-Dadju a dit tout à l’heure dans sa chanson : «Laisse-moi t’élever au rang de reine»…

-Comme je l’imaginais, vous êtes à la fois bienfaiteur et dragueur. Venez demain à 15 heures… 

Publié par Joël Bofengo

Catholique. Journaliste congolais. Curieux de tout (sauf de gastronomie), j’aime lire (des livres) et écouter (la radio). Je crois au meilleur de l’être humain mais je le sais également capable du pire. «Je suis pessimiste avec l'intelligence, mais optimiste par la volonté». Fan de Liverpool FC.

9 commentaires sur « Bienfaiteur et dragueur »

  1. Je ne suis ni bienfaiteur ni dragueur, mais je viens quand même demain à 15heures🤣.

    « Une où deux me suffisent , même si…. »: c’est la phrase qui me retient encore ici.

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