Il y a quelques années, les éditorialistes français moquaient la «politique du 20 heures» menée par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Ils lui reprochaient de multiplier les déclarations fracassantes et les actions de terrain pour se faire inviter au JT de 20 heures ou d’y faire parler de lui afin de donner à l’opinion l’image d’un ministre travailleur qui résout les problèmes, de sécurité notamment. A l’époque, Nicolas Sarkozy ne cache pas son ambition de succéder à Jacques Chirac à la tête de la France.
Le journal télé de 20 heures est un moment important, surtout pour les politiques qui ont une ambition nationale. C’est un grand rendez-vous qui donne la possibilité de s’adresser à des millions de Français à une heure de grande écoute.
On a longtemps cru que le media «télévision» avait radicalement changé le rapport des responsables politiques avec leurs concitoyens.
Dans la revue «Vingtième siècle» d’avril 2001, j’ai retrouvé un article fort intéressant intitulé «Image, politique et communication sous la cinquième République».
«Que la télévision ait substantiellement modifié la communication politique relève de l’évidence, une évidence révélée par le score inattendu obtenu par Jean Lecanuet à l’élection présidentielle de 1965. A-t-elle pour autant radicalement transformé le politique, par l’influence exercée sur l’électeur ou par la simplification du débat ? Le dossier mérite d’être plaidé, encore que les politiciens, un temps désarçonnés par les étranges lucarnes, aient rapidement appris à s’en servir», lit-on dans la publication.
Sarkozy n’avait donc rien inventé. Les nouveaux moyens de communication changent irrémédiablement la façon des politiques de communiquer avec leurs concitoyens. Mais pas seulement. Ils changent également notre rapport avec le temps, l’action, le désir, l’envie, l’attente, etc.
L’avènement des moyens de communication instantanée a, une fois de plus, changé notre rapport au réel. Les politiques s’y sont adaptés. Pour le meilleur et pour le pire.
Désormais, il faut répondre à tout, tout le temps et instantanément.
Politiques ou commentateurs ?
Basiquement, ce que l’on attend d’un responsable politique, c’est des réponses aux problèmes auxquels fait face la communauté. Au pouvoir, il doit réfléchir sur l’option politique la mieux adaptée pour répondre à tel ou tel autre problème. La défendre. Obtenir l’adhésion populaire. Et la mettre en œuvre. Dans l’opposition, proposer des alternatives aux politiques menées par le pouvoir, en suggérant des options qu’il estime meilleures ou plus appropriées.
Cela demande donc du temps. Mais le temps, qui en dispose encore ?
L’immédiateté que nous imposent désormais les nouveaux moyens de communication a changé radicalement nos comportements et notre rapport à la réalité.
Des questions qui nécessitent une réflexion approfondie et une action au long cours sont désormais simplifiées à l’infini et posées aux politiques pour des réponses immédiates.
Le moindre fait divers rapporté par la presse fait l’objet des éditions spéciales sur les chaînes d’info en continu qui interrogent les politiques sur le comment du pourquoi et exigent des réponses dans l’immédiat.
Sauf que toutes les questions ne méritent pas de réponses immédiates parce que tout ne relève pas de l’urgence. Des questions essentielles nécessitent du temps pour avoir des réponses efficaces et durables. La crise climatique, sécuritaire et économique que connaissent plusieurs régions du monde actuellement appellent plus à des réponses globales, réfléchies et concertées qui ne sauraient obéir à la logique de l’immédiateté. Mon propos n’est pas de dire que la politique ne doit pas se préoccuper des questions urgentes. Les dirigeants d’une cité ou d’un pays doivent pouvoir répondre rapidement aux besoins des habitants qui ont perdu leurs logements après un ouragan ou une éruption volcanique.
Mais précisément, la spécificité de ces questions urgentes est qu’elles sont exceptionnelles. Mais nous avons fait de l’urgence une permanence. Chaque citoyen se sentant dans son droit de demander des réponses immédiates aux problèmes les plus complexes. Toujours à courir derrière des potentiels électeurs, les politiques jouent le jeu. Ils se prêtent volontiers à ce théâtre géant qu’est devenu le système médiatique.
Les matinales radio, le JT du 20 heures, les émissions politiques sont devenus de grands-messes où on interroge tout le monde sur tout. Mais comme personne ne peut répondre à tout, les politiques ont trouvé la parade. Ils sont devenus des commentateurs, passant le plus clair de leur temps à commenter l’actualité, les petites phrases des uns et des autres, alimentant la polémique et la controverse.
Tout le monde y trouve son compte. Les médias remplissent leur antenne. Le public a de quoi gloser sur les réseaux sociaux pour passer le temps après lequel pourtant tout le monde court. Et les politiques disposent de formidables créneaux d’audience.
Le seul perdant : l’efficacité de l’action politique. Les problèmes du pays sont tellement simplifiés que les boutades et les éléments de langage suffisent désormais pour répondre aux questions les plus difficiles.
Stratégie n’est pas un gros mot
Il a fallu que la guerre éclate en Ukraine pour que les Européens s’interrogent sur leur autonomie énergétique. La France qui disposait d’un bel outil – le nucléaire – s’est réveillé en se demandant comment son parc nucléaire était à présent si réduit.
Le Coronavirus nous avait pourtant déjà révélé notre dépendance maladive vis-à-vis de la Chine pour tout un tas de produits que, par renoncement et manque d’ambitions, nous ne produisions plus.
La hausse du prix du blé, essentiellement produit en Russie et en Ukraine, nous rappelle que dépendre à ce point des autres est problématique.
Les politiques publiques doivent répondre aux besoins des habitants d’un pays. Elles nécessitent une réflexion et une action planifiée et pensée. Mais à force de ne répondre qu’aux urgences, les politiques ont perdu la notion du temps long. Désormais, lors des conseils des ministres, c’est des dernières polémiques qui éclatent sur les réseaux sociaux dont on parle. Et pas des questions que pose l’accroissement exponentiel de la démographie au Congo.
Quand ils prennent la parole en public, les membres du gouvernement ne se donnent plus la peine de s’interroger si l’annonce qu’ils veulent faire n’est pas en contradiction avec une précédente mesure ou annonce.
Ainsi, entend-on des ministres interdire des pratiques déjà interdites par leurs prédécesseurs. Ou annoncer comme innovant des dispositions déjà prévues par les textes réglementaires.
La politique, c’est le monde de la stratégie. Au sens militaire. Planification. Organisation. Coordination. Action.
C’est la seule façon de répondre aux problèmes complexes que connaît un pays comme le Congo où tout semble relever du prioritaire. Non. Tout n’est pas prioritaire. Et c’est aux dirigeants élus, forts du mandat reçu du peuple, d’expliquer à l’opinion publique comment ils comptent ordonner les problèmes du pays pour que leur résolution renforce chaque jour davantage la nation.
Pour y arriver, il faut sortir du dictat de l’immédiateté. De la réponse rapide (et souvent facile et simpliste). Et s’inscrire dans le temps long qu’exige la gestion rationnelle d’une cité.
Pour cela, il faudrait également éduquer l’opinion publique. Biberonnée aux réseaux sociaux devenus les lieux de nos revendications et de nos récriminations – changeant au gré de l’actualité – elle exige désormais tout et tout de suite.
Qui se souvient encore du drame de Matadi Kibala où la chute d’un câble électrique de haute tension a fait de nombreuses victimes à Kinshasa en février dernier ? Du déraillement du train dans le Lualaba en mars dernier qui a fait 75 morts ?
Ainsi va le monde de l’immédiat, rien n’est permanent. On passe d’un drame à un autre, d’une indignation à une autre, d’une polémique à une autre. Sans que rien ni personne n’exige une réflexion sérieuse sur les origines et les moyens d’éviter la répétition des drames qui endeuillent trop souvent le Congo.
Le dictat de l’immédiateté, c’est le présent éternel. La réponse toute faite et simpliste qui permet d’apaiser l’opinion publique, le temps de passer à une autre polémique, un autre drame, une autre indignation.
Les citoyens comme les responsables politiques doivent en sortir. C’est un piège pour la démocratie et un frein pour la construction d’institutions fortes et stables dont le Congo a tant besoin.