«Il n’y a rien qu’on peut apprendre en parlant.» Cette phrase, les férus de la saga de «Rocky» comme moi l’ont sûrement noté en regardant «Creed».
Rocky s’adresse à Adonis, fils de son ami Apollo qui lui demande de l’entraîner. Après plusieurs hésitations, l’ancien champion du monde boxe finit par accéder à la requête de celui qui va l’appeler durant tout le film «L’Oncle».
Adonis veut devenir un boxeur comme son père, mort sur le ring dans les bras de Rocky qui avait tardé à jeter l’éponge pour demander l’arrêt du combat face à Ivan Drago (Rocky IV).
Le jeune homme est pressé, convaincu de son talent. A l’entraînement, il parle beaucoup. «La boxe je l’ai apprise de personne. Je suis prêt», assène-t-il.
Rocky l’arrête : «Hey ! Hey ! Il n’y a rien qu’on peut apprendre en parlant. C’est un fait, c’est la vie. Tant que tu parles, tu n’écoutes pas».
Le vacarme permanent
Les amoureux de la saga «Rocky» le savent, ce film est une leçon de vie. Chaque épisode a au moins une phrase choc qui parle à chacun. Au-delà de la boxe.
«Rocky» a été un grand champion. Tout le monde le respecte. Mais il sait que rien ne serait arrivé s’il n’avait pas écouté «Mickey», le vieux coach qui l’a façonné.
«Il n’y a rien qu’on peut apprendre en parlant». C’est presque un sujet de dissertation. C’est surtout un projet de vie. Dans notre monde de la communication instantanée et sans arrêt, cette phrase est en soi une interpellation.
Sur les plateaux de télé, dans les studios de radio, dans les réunions de travail, les groupes Whats’App, entre amis autour d’un verre ou d’une tasse de café, il n’y a plus un lieu où on n’a pas cette sensation désagréable que tout le monde veut parler. Sans se soucier de la parole de l’autre.
Participer à une discussion est une excellente chose. Mais discuter, c’est d’abord écouter avant de parler. Une discussion suppose que l’on soit en capacité de répondre raisonnablement à ce que l’on entend. Argumenter. Relever les failles dans l’argumentation de l’autre. Pointer les incohérences. Souligner les convergences. Répliquer. Tout ceci nécessite une écoute attentive.
Mais écoutons-nous encore ?
Dans un autre billet, j’ai relevé que les nouveaux moyens de communication ont complètement perturbé nos habitudes. Au lieu d’être des lieux d’échanges, les réseaux sociaux sont devenus des endroits où chacun veut imposer son point de vue, convaincu d’avoir raison. Plus de place pour l’échange. La discussion se réduit en des monologues successifs. Les réseaux sociaux en sont venus à désigner des lieux de vacarme permanent.
Cacophonie
Les plateaux des chaînes d’info en continu ont amplifié le phénomène. Pendant toute la dernière campagne présidentielle française, je n’ai pas regardé CNEWS. Fatigué de voir dévoyer l’esprit du débat démocratique sur cette chaîne (elle ne fait pourtant pas exception dans l’audio-visuel français. D’autres ne font pas mieux). Tout le monde parlant en même temps, personne n’écoute personne. C’est la cacophonie.
Les journalistes s’y sont mis depuis un certain temps. Certains confrères et certaines consœurs sont désormais reconnus pour ne jamais laisser parler leurs invités jusqu’au bout. Qu’on me comprenne bien. Je ne demande pas aux confrères et aux consœurs de faire preuve de mollesse. Non. Mais tout le monde gagne quand on peut écouter un raisonnement jusqu’au bout. Sinon, le débat perd de son intérêt.
Loin des réseaux sociaux et des plateaux de télé, le culte de la parole désordonnée s’est invité au plus près de nous. Dans nos familles. Entre conjoints. Entre amis. Entre collègues. Personne n’écoute plus personne. On cherche à contredire, à interrompre, sans jamais avoir vraiment compris le propos de l’autre.
Dans «Liberté et responsabilité», j’ai écrit : «Il nous arrive trop souvent d’oublier que la première qualité de l’intelligence est l’écoute». C’est l’explication de la phrase de Rocky que j’ai reprise au début de ce billet. Quand on parle, on n’écoute pas. C’est naturel. Et quand on n’écoute pas, on n’apprend rien.
«Le silence est d’or»
La sagesse populaire regorge d’innombrables aphorismes sur les bienfaits du silence. Nous gagnerons à les redécouvrir. «La parole est d’argent, mais le silence est d’or» est peut-être le plus connu.
L’écoute est à l’intelligence ce que la lecture est à l’écriture. L’une nourrit l’autre.
Pour écouter, il faut se taire. C’est notre incapacité de plus en plus manifeste de garder le silence qui nous prive de tous les bienfaits de l’écoute.
Pourtant, dans notre société où l’oralité a gardé une place centrale, la parole est souvent présentée comme «sacrée». Je ne remets pas en cause une certaine sacralité de la parole. Mais précisément, ce qui fait la sacralité de la parole, c’est son absence. C’est pour cette raison que nous nous taisons à l’Église.
Garder le silence pour écouter.
Écouter la conjointe qui te fait une remarque sur une attitude qu’il faudrait changer. Écouter l’ami qui te conseille de modérer la consommation d’alcool. Écouter le collègue qui te prie de ne pas répondre à un mail sous la colère.
Je reconnais qu’écouter est exigeant. Surtout lorsqu’on doit écouter des choses pas très agréables. C’est pourtant là que se trouve souvent la lumière. Celle qu’on ne peut pas voir tout seul. Celle qui nous ouvre les yeux et les horizons. Celle qui nous aide à marcher dans la nuit noire de l’effort solitaire qui précède le succès.
Ne l’oublions pas : «Le pas vient toujours d’ailleurs». Mais il faut aller à la rencontre de l’autre, l’écouter pour découvrir ce pas.
Dommage que nous nous privions trop souvent de ce pas, pris dans cette envie insatiable d’une parole insipide et sans substance à force d’être répandue comme cette eau qui jaillit d’un robinet qui ne se ferme pas.
Difficile dans ce cas de ne pas être d’accord avec Michel Serres :
«C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture : rencontrer quelqu’un qui écoute.»
Waouh !
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