Réseaux sociaux. Le temps de la remise en question

Le 21 avril dernier, l’ancien président américain a tenu un discours fort remarqué au sujet des réseaux sociaux qu’il a notamment accusés d’avoir amplifié «les pires instincts de l’humanité» et d’être «l’une des causes de l’affaiblissement des démocraties».

M. Obama reproche notamment aux plateformes numériques leur modèle économique qui repose, selon lui, sur l’économie de l’attention.

«Ce sont, malheureusement, des contenus inflammatoires, polarisants, qui attirent l’attention et encouragent la participation» des utilisateurs, s’est expliqué l’ancien président.

Ces propos, Barack Obama les a tenus à la prestigieuse université Stanford en Californie, «au cœur de la Silicon Valley», comme le pointe le site Internet du journal «Le Monde». Tout un symbole.

Notre manière de nous informer a changé

L’ancien chef de l’Etat américain pointe également la désinformation qui se propage trop facilement grâce aux réseaux sociaux, se reprochant lui-même de ne pas avoir suffisamment réalisé «à quel point nous étions devenus réceptifs aux mensonges et aux théories du complot».

Ces mots de Barack Obama font échos à ce constat que l’on peut lire dans le rapport de la commission Bronner, «Les lumières à l’ère numérique» :

«Nous sommes aujourd’hui confrontés à une masse inédite d’informations disponibles et à une concurrence généralisée des points de vue, qui s’expriment sans filtre et selon une logique peu intelligible pour les utilisateurs du Web et des réseaux sociaux. Cette saturation et cette dérégulation du marché de l’information en ligne mettent à rude épreuve nos capacités de vigilance épistémique, ce qui nous rend davantage perméable aux fausses informations.»

Le rapport de la commission Bronner a été publié en janvier dernier. «Il dresse un état des lieux de la désinformation sur les réseaux sociaux.Ce rapport présente une synthèse des « désordres informationnels » à l’ère numérique et des « perturbations de la vie démocratique » qu’ils engendrent», lit-on notamment sur vie-publique.fr.

Dans la lettre de mission du président de la République française à Gérald Bronner, qui a présidé la commission, Emmanuel Macron dresse également un constat similaire à celui de l’ancien président américain.

«En quelques années, la façon dont nous nous informons s’est radicalement métamorphosée. […] Cette révolution souvent virtuelle a des impacts bien réels : positifs, quand ils permettent à des communautés de passionnés de se retrouver pour échanger sur des sujets que le marché n’investissait pas ; négatifs lorsque l’éclatement des sources d’information aboutit à la division de la société en groupes construits autour de postulats déconnectés de tout fondement rationnel. »

Les réseaux sociaux ne sont pas neutres

Nous faisons tous à peu près le même constat que Barack Obama, Emmanuel Macron et la commission Bronner : nos habitudes de consommation de l’information ont radicalement changé.

Mais la question qui mérite le plus notre attention est : est-ce que cela nous a changé ?

A cette question, Barack Obama et Emmanuel Macron répondent par l’affirmative. Le premier soutient que les réseaux sociaux amplifient «les pires instincts de l’humanité». Pour le second, «l’éclatement des sources d’information aboutit à la division de la société».

Les deux s’accordent également sur les risques que font peser ces nouvelles manières de s’informer sur la démocratie et sur la nécessité d’une régulation.

Lorsqu’on pose ce constat, on s’entend souvent répondre que les réseaux sociaux n’y sont pour rien et que c’est la nature humaine qui serait le problème. Les réseaux sociaux ne seraient que des instruments. Un peu comme le couteau ne serait ni bon ni mauvais et que tout dépendrait de son utilisation.

Barack Obama répond bien à cette pseudo-argumentation. A Stanford, il a notamment fait savoir que le problème n’est pas «ce que les gens publient» mais plutôt «les contenus que ces plateformes promeuvent». Il pointe ainsi du doigt la question des algorithmes.

En effet, ce que vous voyez sur votre TL Twitter, par exemple, n’est pas tout à fait «neutre». Il y a une logique derrière. Logique que personne ne contrôle, en dehors des plateformes.

La commission Bronner s’est également penchée sur la question. Elle note que «certaines logiques algorithmiques, sans être responsables de nos croyances ou nos comportements, contribuent toutefois à les façonner».

Ainsi, l’ordre et la fréquence d’apparition de certaines informations relèvent d’une «éditorialisation algorithmique». Jusqu’ici, les algorithmes des grandes plateformes (Twitter, Facebook, YouTube, etc.) ne sont soumis à aucun contrôle.

C’est ici que la comparaison entre les réseaux sociaux et le couteau perd tout son sens.

«L’algorithmisation» de nos vies

Avez-vous déjà suivi le documentaire «The social dilemma» ? Si ce n’est pas le cas, je vous le conseille. Il est sorti en septembre 2020 sur Netflix.

Le documentaire explique justement le fonctionnement des algorithmes ainsi que leurs dérives.

Car l’idée des plateformes comme Facebook, YouTube, Instagram ou Twitter est de nous maintenir «engagés» le plus longtemps possible. Plus vous y passez du temps, plus vous interagissez, mieux elles se portent. Et tout est fait pour ça.

Dans le documentaire, ce sont d’anciens cadres de ces boîtes qui parlent de ces dérives. Polarisation des débats, bulles de filtres. Tout est fait pour nous mettre uniquement en relation avec des gens qui pensent comme nous.

Dans le monde virtuel comme dans le réel, il est problématique de n’écouter que des gens qui pensent comme soi. C’est l’un des problèmes les plus importants (avec l’addiction) que posent les réseaux sociaux. 

Il m’arrive souvent d’entendre des gens dire : «Je l’ai appris sur Internet» ou «C’est partout sur les réseaux sociaux. Pourquoi tu n’y crois pas ? ».

Voici donc le danger. Si l’opinion doit être construite non pas à partir de la fiabilité des informations mais leur propagation sur les «réseaux sociaux », c’est tout le débat public qui est menacé. Et, in fine, la démocratie. On comprend donc l’interpellation de Barack Obama.

Avec les réseaux sociaux se développent de plus en plus des bulles où des individus se voient confortés dans leurs convictions. Or, le principe même du débat démocratique est la contradiction intelligente.

Est-ce que l’attaque du Capitole en janvier 2021 aurait été possible sans la montée des discours «déconnectés de tout fondement rationnel» au sujet des résultats de l’élection présidentielle américaine ? La question mérite d’être posée. Je ne jouerai pas au sachant, en tentant d’y répondre.

Aurait-on vu se multiplier les discours loufoques sur l’origine du Coronavirus ou la prétendue dangerosité des vaccins sans la multiplication des contenus auto-produits ?

Loin de moi l’idée de rendre les réseaux sociaux responsables de tous les travers que nous dénonçons tous. Mais il faut nous arrêter pour nous poser de bonnes questions. Notre vivre-ensemble est en jeu.

Dans «The social dilemma», on interroge Tim Kendall, ancien responsable de la monétisation de Facebook et ex-directeur de Pinterest, sur ce qui l’inquiète le plus dans le développement exponentiel des réseaux sociaux. Sa réponse : «A très court terme ? La guerre civile.»

Dans un autre billet, j’ai parlé de notre dépendance à ces nouveaux outils d’information et d’échanges. La question de la dépendance notamment des adolescents aux réseaux sociaux se doit d’être analysée froidement. Passer une voire deux heures par jour devant Instagram ou Facebook est-il sans conséquence pour leurs jeunes cerveaux ? Et pour nous tous, qu’est-ce que l’addiction à ces outils dit-elle de nous ?  

A la fin, il va nous falloir répondre à une question philosophique de notre rapport à la technologie. Doit-elle nous contrôler ou c’est à nous de la contrôler ? J’imagine que la plupart d’entre nous allons répondre en disant que c’est aux humains de contrôler les technologies. Mais est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Il nous faut trouver des réponses sérieuses. Rapidement. Car comme l’a récemment observé Jacques Attali, il se peut que les grandes plateformes deviennent si puissantes que les États n’aient pas les moyens de les contrôler. Et nos données avec. C’est toute l’humanité qui serait menacée par des intérêts privés devenus trop puissants. 

Publié par Joël Bofengo

Catholique. Journaliste congolais. Curieux de tout (sauf de gastronomie). Fan de Liverpool FC.

Un avis sur « Réseaux sociaux. Le temps de la remise en question »

  1. Nous consommons de n’importe quoi sur les réseaux sociaux : de l’utile à l’agréable, de motivant au déchirant en passant par nos émotions et sentiments qui contrôlent de plus en plus notre raison, notre personne.
    Moi je dirais que nous sommes devenus des monstres avides prêts à se mordre les uns les autres.
    Oui c’est à l’homme de gérer et contrôler la technologie. Les réseaux sociaux sont au service de l’humanité et non l’opposé.
    C’est à chacun de nous de s’amender sous ce rapport : nos habitudes, nos intérêts, nos aspirations. Nous sommes de plus en plus en compétition oubliant les liens qui nous unissent. Nous avons perdu l’humanisme et l’amour authentique au profit de nos intérêts égoïstes.

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