Pendant la campagne électorale pour la présidentielle en France, j’ai souvent entendu Valérie Pécresse répéter «L’école est la fabrique de la France». Quelle belle formule pour parler de cette institution qui, par la transmission du savoir, permet de construire la République grâce à la connaissance, aux valeurs et à l’esprit critique.
Au début de cette année, j’ai perdu mon enseignant de mathématiques de la cinquième et sixième année au collège Bonsomi, Éminent Matameso. Nous l’avions surnommé «Mollah». C’était tout un personnage. Il avait un vocabulaire, un discours, une posture et des idées bien à lui.
Quand je repense à mes années à l’école primaire et au secondaire à Kinshasa, c’est avec tendresse que je revois mes enseignants. Ils étaient pourtant si sévères.
Les interrogations de Papa Mumpana étaient précédées d’un cérémonial. Elles avaient lieu tous les mercredis. Il commençait d’abord avec la leçon du jour. A un moment, il s’arrêtait, regardait sa montre, donnait l’heure et nous priait de sortir nos cahiers d’interrogation.
La figure du maître
J’ignore le rapport que les élèves ont actuellement avec leurs enseignants au Congo. Quand je les revois aujourd’hui, je vouvoie systématiquement mes enseignants. Ils me tutoient systématiquement. Je suis flatté quand je les entends dire que j’étais un bon élève. Mon enseignant d’histoire et de français au secondaire, que j’ai rencontré à l’occasion d’un deuil il y a deux ans, a dit à mon épouse que j’étais parmi les meilleurs élèves qu’il a connus. Lui, il a été l’un des plus sévères enseignants que j’ai connus. Les camarades l’avaient surnommé «Diable».
Avec lui, aucune faute d’orthographe ne passait. Et il ne supportait pas le bruit dans la salle de classe. Au moindre chuchotement, il s’arrêtait net pour nous sermonner et nous rappeler que la seule raison de notre présence en ce lieu était le désir d’apprendre. Et que ceux qui n’éprouvaient plus ce désir pouvaient repartir chez eux.
Je suis assez imperméable à tous ces discours sur la «nouvelle école» où les enfants vont pour découvrir ce qu’il y a en eux. On se rend à l’école primaire et secondaire pour apprendre. Il y a d’un côté un maître qui transmet le savoir. Et de l’autre, des élèves qui doivent faire l’effort d’assimiler le savoir. Lire, écrire et compter s’apprennent. C’est le savoir élémentaire.
C’est à l’université que mon professeur de «Grands courants de la pensée» m’a fait graver dans l’esprit qu’il y avait un lien étroit entre la pensée et la grammaire. «Si vous ne maîtrisez pas la grammaire, vous ne pouvez pas construire une pensée autonome», aimait-il répéter.
L’école est conçue de telle manière que l’apprentissage se fasse du plus simple au plus complexe. On apprend d’abord à lire et à écrire, avant d’apprendre à composer. Sinon comment rédiger une dissertation sans une connaissance parfaite des «b.a.-ba» de la langue. Comment trouver du plaisir dans la lecture des classiques de la littérature sans maîtrise de la grammaire.
La grammaire, la conjugaison, l’arithmétique doivent être assimilées parfaitement au sortir du cycle primaire et du secondaire pour que l’élève ait les outils d’avancer dans la complexité du savoir.
La curiosité
Tout le cursus scolaire a pour seul but d’amener l’élève à développer la pensée libre et critique. Et la curiosité est la condition pour la construction de cette pensée.
La curiosité intellectuelle est l’autre bras sur lequel est construite l’école. Les enseignants sont là pour nous faire aimer le savoir au point d’en devenir amoureux et d’être constamment à sa recherche afin de construire notre propre personnalité intellectuelle et nos propres convictions.
J’avoue être souvent choqué d’entendre des personnes, diplômées d’université, me dire sans se gêner qu’elles n’ont plus lu de livres depuis un, deux, trois voire cinq ans.
Ceci traduit la déliquescence du système éducatif congolais. Sinon comment avoir passé douze ans sur les bancs de l’école primaire et secondaire, puis cinq années à la fac et ne pas être perturbé par le fait de ne plus renouveler son savoir, le questionner, le remettre en cause.
Dans «On achève bien les hommes», Dany-Robert Dufour rappelle que «le cours de la science, c’est de se dépasser constamment». Comment se dépasser si on ne se remet pas constamment en cause. C’est tout l’intérêt de la lecture. Elle nous permet de découvrir sans cesse des univers inconnus, des mondes possibles, a priori inaccessibles.
Façonner l’humain
Dans le même livre, le philosophe français évoque l’idée de la néoténie de l’humain, c’est-à-dire son caractère inachevé. D’autres penseurs développent la même idée.
Ainsi Jean Jacques Rousseau dans «L’Émile» :
«Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.»
Ou J.-F. Lyotard dans «L’inhumain» :
«Si les humains naissaient humains, comme les chats naissent chats, il ne serait pas […] possible de les éduquer. Qu’on doive éduquer les enfants, c’est une circonstance qui ne procède que de ce qu’ils ne sont pas tout conduits par nature, pas programmés. Les institutions qui constituent la culture suppléent à ce manque natif.»
Nos enseignants ont donc cette lourde charge de nous dépouiller de notre sauvagerie native et faire de nous des êtres capables de se soumettre aux lois de l’humanité…par la discipline et la culture.
C’est l’explication de la phrase de Madame Pécresse que j’ai citée au début de ce billet. Il n’y a pas de République sans école sérieuse. Nous y apprenons à nous lever quand un enseignant entre en classe, à nous arrêter pour saluer un supérieur ou un aîné, à être ponctuel, organisé et régulier dans l’effort.
Réhabiliter l’enseignant
Autant de responsabilité pour nos maîtres. Ces hommes et femmes qui se dévouent pour offrir à la République des personnes raisonnables, cultivées, capables d’efforts et de logique dans leurs entreprises quotidiennes. Nous leur devons respect et reconnaissance.
Je suis assez agacé par ces discussions interminables qui reviennent à chaque rentrée scolaire sur la rémunération de nos enseignants. Non pas parce qu’ils n’y ont pas droit. Non. Mais cette question devrait tellement nous préoccuper que nous aurions dû la régler depuis belle lurette.
Puisque nous leur remettons la formation de nos jeunes esprits, ils doivent avoir les moyens de travailler dans les meilleures conditions. Ils doivent pouvoir vivre de leurs salaires pour ne jamais être tentés de monnayer le savoir. Parce qu’un savoir monnayé est un savoir dévoyé.
Je lis souvent sur les réseaux sociaux des compatriotes se plaindre de la qualité la presse au Congo. Un peu de cohérence et d’effort intellectuel. Si nous sommes tous d’accord pour dire que l’école a de plus en plus de mal à produire des hommes et des femmes bien instruits qui savent lire et écrire, capables de produire une pensée autonome, critique et alerte, ça ne devrait pas nous étonner d’avoir une presse pas tout à fait à la hauteur de la grandeur d’un pays comme le Congo.
Comme je l’ai écrit dans un autre billet, dans une République tout se tient. Une école défaillante produit forcément des journalistes incultes et bornés.
Il nous faut donc réhabiliter la place de l’école (et de l’enseignant). Elle doit être au cœur de nos préoccupations.
Les habitués de ce blog trouveront peut-être que j’en fais trop sur cette question de la formation. Je dois vous avouer que la question me préoccupe au plus haut point. Il en va de la survie de notre République. Un pays qui n’est plus capable de produire des personnes intellectuellement au point pour affronter ce monde de plus en plus complexe se condamne à être colonisé.
Il nous faut de bons enseignants dévoués, compétents et formés.
Plus haut, j’ai fait part de mon agacement de ces discussions sans fin sur les rémunérations de nos enseignants. C’est aussi parce que ce problème occulte l’épineuse question de leur formation.
Nous ne pouvons pas laisser des jeunes esprits étancher leur soif de savoir auprès d’enseignants peu ou pas formés. C’est hypothéquer l’avenir de la nation. C’est un peu comme remettre la construction de votre maison aux mains d’un architecte pas formé. Ne vous étonnez pas de vous lever un matin dans une maison qui se fissure de tout part.
Les enseignants sont les architectes de la République…
Un avis sur « Réhabilitons les enseignants, ces «architectes de la République» »