Qui a fabriqué la chaise sur laquelle tu es assis ?

Vous avez déjà remarqué que sur ce blog j’accorde une certaine importance aux questions liées à la formation. Et c’est à volonté que j’utilise le terme «formation» que je préfère toujours à «école». Car, pour moi, l’école est un moyen de formation. Ce n’est pas LA formation.

Les chaises de «Papa Komanda»

On peut se former tout seul. C’est très dur. Mais des autodidactes qui se sont imposés comme des maîtres de la pensée, des entrepreneurs florissants ou des dirigeants politiques qui ont marqué l’histoire de leurs nations, les dictionnaires en sont remplis.

On peut également apprendre un métier auprès d’un maître. J’avoue que ce n’est plus très à la mode au Congo où l’artisanat est de plus en plus négligé au profit de la production industrielle… venant d’Asie. Quel dommage !

Quand j’étais plus jeune, il y avait dans la commune de Ndjili où j’habitais un célèbre menuisier ébéniste «Papa Komanda». J’ignore s’il continue de produire ces célèbres meubles «style Louis XIV» que s’arrachaient les familles. Certaines venant des communes très éloignées de Kinshasa.

Mais ce que je sais ce que dans la plupart des ménages de Ndjili et de Kinshasa, il y a longtemps que l’on ne s’assoit plus que sur des chaises en plastique ou en faux bois fabriqué en Chine ou dans cette partie de l’Asie, devenue, par la magie de la mondialisation, l’usine du monde.

C’est bon marché. Pour s’en procurer, pas besoin d’attendre des mois ou de se chamailler pendant plusieurs jours avec un menuisier, forcément menteur et qui ne respecte jamais les délais de livraison. L’argument est recevable. Mais pas défendable.

Le choix de la facilité

Dans son excellent blog que je vous recommande vivement et dont je parle souvent ici, Xavier Alberti a consacré un article au «Coût des choses».

Ne nous y trompons pas. Les chaises en plastique fabriquées en Asie sur lesquelles nous nous asseyons sans nous poser trop de questions ont un coût bien plus élevé que nous ne pouvons l’imaginer.

«À chaque fois que nous achetons un produit à un prix, dans un délai ou dans un lieu qui ne correspondent pas à sa juste production, à sa juste valeur ou à sa juste géographie, quelqu’un d’autre paie notre part, économique, sociale ou environnementale», nous met en garde M. Alberti.

Dans la ville où je vis actuellement, quatre chaises en plastique avec table sont vendues en moyenne entre 40 et 50 dollars américains. Faire confectionner les mêmes meubles en bois par un artisan local peut exiger entre 100 et 150 dollars américains. Il n’y a pas photo. Dans un pays où le revenu mensuel moyen par habitant s’élève à 44 dollars américains (Données 2019, Banque mondiale), les ménages sont contraints de se rabattre sur ces objets à bas coût, venus de très loin. Et personne ne peut pointer du doigt ces compatriotes qui sont obligés d’user d’imagination pour pouvoir s’offrir et offrir à leurs proches des conditions de vie agréables.

C’est collectivement que le problème se pose. Et politiquement. Qui fabrique les chaises sur lesquelles s’assoient les employés de la multitude d’institutions que compte notre pays ? Un ami me racontait que des proches des animateurs de certaines institutions vont jusqu’à se rendre eux-mêmes en Turquie ou en Chine pour acheter les meubles des bureaux de leurs parents. On en est là.

Ici, il n’est plus question de pouvoir d’achat. Tout le monde connaît le train de vie des animateurs des institutions au Congo. C’est donc un choix que d’aller chercher très loin des produits que nous pouvons fabriquer ici. Le choix de la facilité.

Fabriquer une chaise, est-ce bien compliqué ?

L’artisanat est un gros moteur économique dans certains pays. Le secteur enregistre 3,1 millions d’actifs et totalise un chiffre d’affaires de 300 milliards d’euros en France.

Sur le site Internet de «France Artisans», on peut apprendre que ce chiffres d’affaires est en constante augmentation.

Ce que j’ai dit plus haut sur la chaise s’applique également sur plusieurs autres produits de l’artisanat. Si je m’appesantis sur la chaise c’est pour mettre en avant la banalité d’un objet si simple et pourtant si nécessaire.

Est-ce bien compliqué de fabriquer une chaise ? A titre personnel, je n’en ai aucune compétence. Et je le regrette. Enfant, j’ai été marqué par «Papa Bonheur». C’est le surnom d’un oncle menuisier. Un excellent menuisier. La qualité de son travail n’avait d’égal que son manque de sérieux. Je ne me souviens plus du nombre de personnes qui venaient se plaindre chaque matin dans la parcelle familiale des retards de livraison.

Je n’arrivais pas encore à la hauteur de sa table de travail mais je ne le quittais pas. Son travail me fascinait. Aurais-je pu devenir un bon apprenti puis, plus tard, un bon menuisier si j’avais pu déceler en lui un modèle ? Je ne le sais pas.

Je suis, par contre, convaincu qu’il y a au Congo des millions de jeunes, actuellement sans emploi, qui seraient de bons apprentis et finiraient excellents menuisiers, plombiers, maçons, bouchers, boulangers, bottiers, etc.

C’est dans la banalité de la vie que se trouvent les réponses aux maux qui rongent le Congo. Imaginer un instant que nous puissions construire nous-mêmes les maisons plutôt que de commander des maisons préfabriquées, fabriquer nos meubles plutôt que de les faire venir de Chine, consommer des pains fabriqués dans les fours de notre voisin plutôt que d’acheter ceux des supermarchés, détenus en majorité par des capitaux étrangers. C’est des millions d’emplois créées et des revenus garantis pour des milliers des familles congolaises.

A chaque fois que nous achetons un kilo de jambon sec d’Auvergne au supermarché, c’est de l’emploi et des revenus créés en France.

Éleveur plutôt que journaliste

La politique est l’art de trouver les réponses intelligentes et durables aux problèmes de la communauté. Il est évident qu’au Congo, nous avons un problème d’emploi.

Il ne se passe pas un mois où on apprend dans la presse qu’un colloque, une rencontre, un forum a réuni des experts venus-de-je-ne-sais-où pour parler des investissements et du climat des affaires. Je souhaite bonne chance aux organisateurs. Si ces rencontres avaient une quelconque utilité, il y a longtemps que cela se saurait.

La principale préoccupation des dirigeants politiques congolais devrait être la formation des jeunes. Formation à des choses utiles. Récemment, j’ai répondu à un jeune qui m’annonçait qu’il voulait faire des études de journalisme pour «être comme moi», qu’il serait plus utile au pays et à lui-même en faisant des études d’agronomie.

Cela dit, je ne partage pas l’avis des ceux qui disent que les études de droit ou d’économie sont actuellement inutiles dans notre pays. Je n’irai pas jusque-là. Mais il va falloir que nous nous posions de bonnes questions. En première année graduat en faculté des Lettres à l’Université de Kinshasa, nous étions un millier d’étudiants. Mes camarades de droit étaient trois ou quatre fois plus. Mon ami Carlos qui avait choisi les études d’agronomie se moquaient de nous quand ils venaient nous rendre visite à l’auditoire. Dans sa promotion, le nombre d’étudiants ne devait pas dépasser la centaine.

Et c’est là le problème.

Qu’avons-nous à gagner en formant des milliers de juristes chaque année si nous n’avons pas grand monde pour s’occuper de ce qu’il y a dans nos assiettes ?

Nous devons être cohérents avec nous-mêmes. Les métiers manuels ne sont pas moins honorables que les métiers intellectuels. Un avocat n’est pas plus important qu’un maçon. Un journaliste n’est pas plus important qu’un éleveur. Loin de là.

La formation, nous revoilà !

J’ai commencé ce billet en parlant de la formation. C’est bien là le nœud du problème. Tous les métiers nécessitent une formation.

Sur «France Artisans», j’ai également lu que l’artisanat rassemble 250 métiers et plus de 510 activités dans l’Hexagone.

Fabriquer une chaise, une montre, une chaussure, un saucisson, un objet de décoration s’apprend. C’est une compétence qu’il faut acquérir. Pour le moment, nous avons fait le choix d’acheter des produits finis fabriqués par d’autres. Nous interdisant du même coup de construire un vrai tissu économique.

Ce tissu économique ne peut être constitué que grâce aux Congolais qui produisent pour d’autres Congolais (et les étrangers), créant ainsi de l’emploi et des revenus pour nos compatriotes et permettant à l’État d’élargir son assiette fiscale.

Dans un autre billet publié en 2020 sur ce blog, j’avais écrit :

«Pour pouvoir donner la chance à des millions de jeunes d’avoir du travail, il nous faut accepter de nous asseoir sur des chaises faites en bois par des menuisiers congolais plutôt que celles en plastique produites à des milliers de kilomètres de notre pays. […] Il nous faut apprendre aux jeunes des métiers de l’artisanat pour pouvoir produire des chaussures, fabriquer du pain et produire des tissus. Il nous faut construire nos propres routes. Il faut maîtriser les techniques pour pouvoir produire de l’électricité, alimenter nos villages en eau potable et construire nos habitations. C’est cela être indépendant.»

Dans un pays, tout se tient : la formation, l’emploi, le pouvoir d’achat, la gestion des finances publiques.

Délaisser la formation des jeunes, c’est se condamner à être éternellement des consommateurs. Tous les voisins du Congo l’ont compris. C’est pour cette raison qu’ils font gentil-gentil avec nous pour que nous puissions rejoindre leurs espaces économiques. Ils vont produire. Nous allons consommer. 

*Illustration : des élèves dans une salle de classe à Kananga dans la province du Kasaï-Central.

Publié par Joël Bofengo

Catholique. Journaliste congolais. Curieux de tout (sauf de gastronomie). Fan de Liverpool FC.

3 commentaires sur « Qui a fabriqué la chaise sur laquelle tu es assis ? »

  1. Nous sommes un pays de consommateurs. Même l’eau en bouteille que nous buvons depuis un temps, le papier hygiénique que nous consommons et, même, le cure-dent nous sont vendus par des asiatiques qui en tirent de gros bénéfices, sans aucune garantie de qualité. Or un peuple de consommateurs est un peuple sans avenir, parce qu’il est un peuple paresseux, qui ne croit pas en lui-même et qui étouffe son potentiel de créativité dans les plaintes interminables. Cela crée des complexes difficiles à éradiquer.

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