Les anniversaires, ce n’est pas ton truc. D’ailleurs, toutes ces choses convenues comme la Noël, le Nouvel an, bref les célébrations, tu ne les aimes pas. Pour toi, il faut juste vivre sa vie. Se réjouir de ces instants qu’elle nous donne et en profiter au maximum. J’ai gardé ça de toi.
Je suis donc bien embêté de te dire bon anniversaire.
Tu te souviens la fois où je t’ai appelé au téléphone à minuit pour te souhaiter heureux anniversaire. Nous n’étions qu’à deux dans la maison. Il faisait noir. Je savais que tu ne reconnaitrais pas tout de suite que c’était moi. Mais la maison était petite, tu t’es vite rendu compte que l’appel venait de la chambre d’à-côté.
«A cette heure, les vieux parlent avec les ancêtres», m’avais-tu répondu dans un grand sourire quand tu t’es rendu compte que c’était moi qui avais appelé.
Les ancêtres
Ah, les ancêtres ! Tu en parles tellement. Après un repas, quand tu veux aller t’allonger sur ton lit et faire la sieste, tu lances : «Je vais voir les ancêtres».
Tu en parles avec beaucoup d’emphase de ces ancêtres. Ou plutôt ces ascendants. Nos ascendants : ton père, ton grand-père, son père.
Des personnes qui aimaient le travail. C’est toujours comme cela que tu me parles d’eux.
Peut-être un message subliminal comme tu en as le secret. Pour me dire que dans la famille le travail revêt un caractère sacré. T’en fais pas. J’ai retenu le message. J’essaie toujours de le faire avec beaucoup de soin et de volonté, me disant que de là où tu es tu pourrais me regarder faire avec un sourire de satisfaction. Oui, un sourire de satisfaction. Parce que les mots de satisfaction, ce n’était pas vraiment ton fort. Rarement je t’ai entendu me féliciter chaudement.
Les notes en classe, bof !
Malgré mes résultats plus qu’honorables en classe, tu te contentais d’une tape dans le dos pour me féliciter. Sans plus.
C’est seulement plus tard que j’ai appris que tu disais le plus grand bien de mon parcours scolaire et académique à tes proches. Mais devant moi, rien. Aujourd’hui, je sais pourquoi.
Tu ne voulais pas que je me laisse griser par les bonnes notes en classe. Parce qu’au fond, ça ne veut pas dire grand-chose que de réussir brillamment en classe. Il y en a des tas qui ont brillamment réussi leur scolarité et sont passés complètement à côté de leur vie.
Pour toi donc, le plus important est ailleurs. C’est dans la capacité d’apprendre, d’être curieux, de vouloir se dépasser, d’aller aussi loin que peut porter son talent.
Pour toi, faire les études c’est comme apprendre à interpréter une carte. Ça te donne des outils. Mais aller parcourir les kilomètres à pied, gravir les montagnes, traverser les rivières, c’est cela le plus important.
Tu n’as pas fait de grandes études. T’es pas allé à la fac comme tes enfants. Mais je suis toujours subjugué par ton intelligence. Tu me fascines par ta capacité à comprendre les choses d’un seul regard et à ordonner ta pensée pour prendre des décisions et agir.
Enfant, je m’étais toujours demandé comment tes amis qui étaient plus instruits que toi venaient auprès de toi pour exposer des problèmes des plus complexes. A la fin de la discussion, j’entendais : «Merci Bojos. Je vais faire comme tu m’as conseillé».
La vie t’a tout appris
Tu as réponse à tout. Après avoir écouté avec la grande plus attention, tu prends une petite gorgée de bière et tu te mets à décortiquer point par point le récit de ton ami. Et à la fin, tu assènes ton point de vue. Sans jugement. Sans prétention. La voix faible mais grave.
Où as-tu appris cette dialectique ?
De Monkoto, tu es venu à Kinshasa. Tu ne devais pas avoir 10 ans. Après les cours, tu allais vendre la pâtisserie de grand-père dans les quartiers blancs de Léopoldville.
Après tes études à l’athénée de la Victoire, tu es allé travailler au port de Matadi puis au groupe Chanimetal à Kinshasa.
Conscient du fait que tu n’avais pas les meilleurs diplômes, tu t’es inscrit dans la meilleure école qui soit : la vie. Elle t’a tout appris : le courage, la patience, la volonté, la maîtrise de soi.
Et au-delà de tout ça, tu as appris ce qui a finalement fait de toi le papa modèle que tu es pour moi : l’humilité d’apprendre. Toujours tu cherches à apprendre. Plus curieux que toi, je ne connais pas. Le goût de la lecture, je l’ai eu très jeune grâce à toi.
Avec ta curiosité, la vie t’a tout appris.
Je t’envie, tu sais. Malgré mon diplôme de licence, je pense que jamais je n’aurais ta finesse intellectuelle.
La «crèmerie» et le moulin à grain
J’imagine ta réaction quand tu liras «jamais je n’aurais…»
Le genre de phrases qui te rebutent au plus haut point. Parce que pour toi, on peut tout obtenir. A condition d’en payer le prix. Et pour toi, le prix est toujours le même : l’humilité d’apprendre et la volonté de bien faire jusqu’à obtenir le meilleur résultat possible.
Tu te souviens comment tu as fait pour pouvoir me payer mon transport pour aller à l’Université de Kinshasa ?
Tu avais perdu ton emploi au groupe Chanimetal, nous n’avions plus de revenus. Tu as monté un moulin à grain. C’était le premier dans le quartier. T’avais plein de clients. Au début, tu as engagé des jeunes gens comme meuniers. Les recettes n’étaient pas à la hauteur de l’affluence. Et tu as fait ce que tu sais faire le mieux. Tu as appris le métier et tu es devenu meunier.
Un soir, tu nous annonces que tu allais désormais utiliser notre grand congélateur pour glacer un mélange d’eau, de lait, de chocolat et de sucre que tu vendrais à 50 francs congolais.
Nous avons éclaté de rire. Le premier essai n’était pas fameux, en effet.
Mais là encore, tu as fait ce que tu sais faire le mieux…
Les jeunes du quartier venaient frapper à la porte à 6 heures du matin pour en réclamer. Ton mélange avait réussi.
Tu m’as tout appris
Tes dernières années, nous les avons passés ensemble à la maison. Mon frère était allé s’installer ailleurs. Mes sœurs aussi.
C’est au cours de cette période que je t’ai vraiment découvert.
Je te connaissais très bavard, j’ai appris que tu étais timide.
Je te connaissais très ouvert, j’ai appris que tu étais très réservé, très secret.
Je te connaissais bouillant, j’ai appris la profondeur de ton calme.
Par-dessus tout, j’ai appris à aimer ce père pédagogue qui n’arrêtait pas d’instruire à force d’anecdotes.
Tu m’as appris à ne jamais baisser les bras même si tout semble compromis.
Tu m’as appris à ne jamais renoncer.
Tu m’as appris à cohabiter avec la douleur.
Tu m’as appris que la réussite se construisait et qu’elle n’était pas donnée.
Tu m’as appris qu’il faut quelque fois accepter de toucher le fond pour briller à la surface.
Tu m’as appris que les peines d’aujourd’hui préparent les victoires de demain.
Tu m’as appris que c’est dans la solitude que l’on nourrit son esprit.
Tania ne t’a pas connu mais elle est fan. Elle t’aurait adoré si je te l’avais présentée.
Je lui parle de temps en temps de toi, de nos conversations, de tous goûts.
En parlant de goût. J’ai joué aujourd’hui à la radio «Sorozo» de Tabu Ley. J’ai appris à aimer ses titres en les écoutant le soir à tes côtés à la maison à Kimbanseke.
Je t’imagine bien ce 19 mai soir allongé sur ta «chaise longue» un verre de bière à la main en train d’écouter «Café Rio» tout en me racontant comment tu allais proposer des pâtisseries au couple de Belges sur les terrasses des bistrots de Kalina. C’est comme cela que tu aurais probablement passé cette soirée d’anniversaire. Tu as 69 ans aujourd’hui, Raph alias «Bojos», «Foreman».
Une dernière chose : embrasse pour moi Rose. Vous me manquez tous les deux.
Un hommage filial, rempli d’amour et de reconnaissance, à l’égard de l’homme que l’on porte toujours dans sa chair, parce qu’il nous porte toujours sur ses épaules. On prie pour lui aujourd’hui.
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Merci beaucoup abbé Apollinaire.
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Tu m’as fait pleurer jo…
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Lolo, ces mots je les ai écrits aussi pour toi, pour Cédric, pour Colette. Cet amour que nous avons tous pour lui ne disparaîtra jamais.
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Lorsqu’on a tout reçu d’un géniteur et que l’on s’est exercé à faire comme il aurait été heureux de te voir faire, l’on peut lire ceci avec sensation de palpitations. Brillant hommage. Bravo jo.
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Papa Raphaël… c’est vers les dernières années que j’ai appris son prénom. J’entendais beaucoup plus « Bojos ». J’avais longuement, secrètement, d’en déduire son prénom en disséquant Bojos pour Bofengo et … je ne trouvais pas. Qu’est-ce qu’il savait faire rire avec des mots et phrases dotés de plus qu’un soupçon de sérieux ! Un texte qui me fait l’admirer encore bien plus que je ne le faisais déjà. Heureux anniversaire papa !
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Papa Raphaël… c’est vers les dernières années que j’ai appris son prénom. J’entendais beaucoup plus « Bojos ». J’avais longuement, secrètement, essayé d’en déduire son prénom en disséquant Bojos pour Bofengo et … je ne trouvais pas. Qu’est-ce qu’il savait faire rire avec des mots et phrases dotés de plus qu’un soupçon de sérieux ! Un texte qui me fait l’admirer encore bien plus que je ne le faisais déjà. Heureux anniversaire papa !
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Beaucoup de choses ont défilé dans ma tête en lisant cet article…
J’ai fini par couler des larmes mais en souriant.
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De là où il est, il doit être fier de l’homme que tu es devenu. Fais qu’il soit toujours fier de toi.
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