Les chiffres délivrés par le ministère congolais de la Santé puis l’équipe de riposte mise en place par le chef de l’Etat contre la pandémie du Coronavirus sont chaque jour plus alarmant. Selon le dernier décompte effectué hier, on est à 134 cas confirmés de la maladie dont 13 morts alors que le premier cas a été enregistré le 10 mars dernier. En moins d’un mois donc, la RDC a franchi la barre de 100 cas. Et le nombre de morts se comptent désormais en dizaine.
Certes cette pandémie frappe la planète entière. Certes aucun pays n’est à l’abri. Mais la multiplication des cas et les décès qui s’en suivent démontrent à coup sûr autre chose pour le cas congolais.
Un système de santé défaillant, incapable de répondre même par une prise en charge basique à ce genre de crise. Un leadership par tâtonnement qui décide d’un «confinement total par intermittence» de la capitale Kinshasa avant de se raviser et décider finalement d’un confinement de la commune de la Gombe– centre des affaires et politique de la ville et «épicentre» de l’épidémie. Et surtout un pays qui apparaît finalement tel qu’il est avec sa misère, son dénuement sans fard ni faux-semblant.
Car si tout le monde pouvait se rendre compte de l’état de délinquance de ce pays, vaste comme l’Europe occidentale, Kinshasa et sa commune de la Gombe pouvaient encore faire illusion avec ses beaux appartements (moi-même j’y habite pendant mes séjours dans la capitale), ses véhicules de luxe, ses supermarchés, ses restaurants chic. La crise du Coronavirus a éclairé d’une lumière nouvelle la réalité congolaise.
«Un paradis dans un enfer»
C’est l’ami Ted Beleshayi qui a trouvé la meilleure formule pour illustrer cette situation et interpeller chacun de nous.
«Personne ne peut créer son propre paradis dans un enfer, aujourd’hui le Coronavirus nous le rappelle», écrit ce cadre du parti présidentiel, l’UDPS, sur son compte Twitter.
C’est bien de cela qu’il est question. De cette élite dirigeante. Celle qui a pillé le pays depuis son indépendance pour se fabriquer son paradis : appartements de luxe dans les grandes villes du pays et à l’étranger, véhicules hors de prix, train de vie insolent, voyages à l’étranger pour se faire soigner.
C’est de cette élite dont parlait l’ancien nonce apostolique, Mgr Luis Mariano Montemayor, dans une interview qu’il m’avait accordée en 2017 à Kananga.
«L’Etat [congolais] a une tradition d’Etat prédateur de son peuple», m’avait alors confié le diplomate.
C’est bien cette prédation qui prive aujourd’hui le pays du nécessaire pour répondre à la crise du Coronavirus. Le pays manque presque de tout : centres médicaux modernes, matériel de prise en charge, ambulances, etc.
Dans un pays grand comme quatre fois la France et peuplé de plus de 100 millions de personnes, un seul centre pour faire des tests de dépistage du Coronavirus. Il est à Kinshasa.
Le savait-on ? Oui. Mais on n’a rien fait pour réparer. La classe dirigeante avait d’autres priorités. Amasser des 4×4. Organiser de longs conciliabules politiques qui n’aboutissent à rien. Se répartir des postes. S’enrichir au point de ne rien laisser au pays. Rien.
Un mal pour un bien ?
Personne ne souhaite évidemment que cette pandémie ne fasse plus de victimes. Mais tout le monde voudrait bien voir l’élite dirigeante en tirer toutes les leçons.
Et si je parle du Congo dans ce billet, c’est parce que je suis Congolais. Né à Kinshasa en plein régime Mobutu.
Mais tout ce que j’ai mentionné plus haut s’applique à plus d’un pays africain. Un article publié sur le site Internet du journal français «Le Monde» le montre assez bien.
«Le Covid-19 n’épargne pas la classe dirigeante africaine, globalisée et voyageuse, clientèle dépensière dans les prestigieux hôpitaux d’Europe, d’Asie, de Suisse, d’Arabie saoudite ou d’Israël. Ils sont même les premiers touchés. Bloqués chez eux par les suspensions des vols suivies des fermetures de frontières et des mesures de confinement, les voilà soudain confrontés aux conséquences concrètes de leurs politiques sur un continent qui se contente de seulement 1 % des dépenses mondiales de santé, et se débat avec deux docteurs pour 10 000 habitants», lit-on dans la publication.
«Du Mali au Zimbabwe, de la République démocratique du Congo (RDC) à la Côte d’Ivoire, les chefs d’Etat, leurs conseillers et leurs ministres de même que leurs proches peinent à contenir leurs inquiétudes au gré des résultats rendus par les rares tests disponibles sur le continent. Comme autant de verdicts sanitaires augurant des changements subis de gouvernance», mentionne encore l’article.
Fini donc les voyages express pour se faire soigner à Paris, Londres ou Génève. «Petits» et «grands» de notre Afrique sont confrontés à des systèmes agonisant qu’on a longtemps fait semblant d’ignorer.
Tous confrontés donc à cet enfer que nous n’avons eu aucun mal à construire à coups de nos égoïsmes et de nos renoncements. Si cette pandémie nous permet enfin de voir cette réalité-là et de changer, elle aura été un mal pour un bien.
*Illustration : l’hôpital général de la ville de Kananga, dans la région du Kasaï au centre de la RDC, lors d’une visite d’une délégation de la Banque mondiale en novembre 2019.
J’étais déjà sur le point d’écrire, voire faire une vidéo pour décrire et décrier ce qui se passe dans mon pays… Enfin je peux lire un texte écrit par un journaliste congolais, texte dans lequel il peint le tableau de ce qui passe vraiment. Coronavirus aura sans aucun doute montré que chaque pays devra s’auto suffire jusqu’à un certain niveau.
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Je valide. Une belle plume qui décrit bien l’enfer congolais.
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Merci beaucoup Suzanne.
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Bel article; Merci pour cet article qui place chacun d’entre nous devant ses responsabilités. N’est ce pas que chaque peuple mérite ses dirigeants…
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Merci beaucoup cher Alain.
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Bel article qui place chacun d’entre nous devant ses responsabilités. N’est-ce pas que chaque peuple mérite ses dirigeants, disait Toqueville…
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